Les problématiques énergétiques occupent une place centrale au sein des Amériques. Essentielle au développement économique, l’énergie est à la fois source de puissance pour certains États richement dotés en ressources tels les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Venezuela, le Brésil ou l’Argentine, mais aussi de dépendance pour nombre d’autres pays des Amériques, notamment en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Si le continent est bien doté en ressources énergétiques de toutes sortes, il souffre également de grandes disparités entre le Nord et le Sud quant à la coopération et l’intégration énergétique, un sujet qui demeure hautement conflictuel dans la région malgré les initiatives mises en place au fil des années.
Portrait de la production et de la consommation d’énergie dans les Amériques
En 2010, le continent consommait 28% de l’énergie mondiale. De ce nombre, et bien que la consommation des États latino-américains ait augmenté substantiellement depuis 40 ans, plus des deux tiers de cette énergie servaient uniquement les besoins des États-Unis. Ce contraste est particulièrement visible en ce qui a trait aux hydrocarbures, envers lesquels l’hémisphère a une forte dépendance. En 2012, les Amériques produisaient près de 22% du pétrole mondial et disposaient également de près de 30% des réserves prouvées. Des années 1970 jusqu’au milieu de la première décennie des années 2000, malgré une hausse de 40% de la production pétrolière du continent au cours de cette période, la part des États-Unis, premier producteur de l’hémisphère, ne cessait de reculer au profit du Mexique, du Canada, du Venezuela, du Brésil et de l’Argentine. Ce déclin relatif faisait glisser vers l’Amérique du Sud le poids de la production pétrolière traditionnellement porté par l’Amérique du Nord depuis le XIXe siècle, faisant du Venezuela et du Brésil en particulier des acteurs incontournables en matière d’énergies fossiles dans les Amériques. Néanmoins, depuis le début du deuxième millénaire, la découverte de nouvelles techniques d’extraction, notamment la fracturation hydraulique et le forage horizontal, couplée à une hausse des prix du pétrole, rendit désormais possible la mise en valeur de gisements auparavant qualifiés d’inexploitables. Ainsi, portés par ce nouveau boum pétrolier, les États-Unis devraient atteindre l’autosuffisance énergétique dès 2015 et devenir le premier producteur mondial d’hydrocarbures en 2017. D’ici les années 2020, toute l’Amérique du Nord (Canada, États-Unis et Mexique) deviendra vraisemblablement exportatrice nette de pétrole, alors que la production du Brésil devrait continuer d’augmenter. Seule exception à ce titre dans les Amériques parmi les pays producteurs de pétrole : le Venezuela. En effet, malgré de larges réserves, ce pays devrait voir sa production péricliter en raison de l’instabilité politique et économique qui le caractérise, ces problèmes s’ajoutant au manque d’investissements privés dans l’industrie pétrolifère. Outre les puits de pétrole à fracturation hydraulique situés aux États-Unis (principalement au Texas et dans le Midwest), la production pétrolière des Amériques se concentre désormais autour des gisements offshore (golfe du Mexique, golfe de Maracaïbo, côtes brésiliennes), des gisements situés en hautes latitudes froides (Alaska, Grand Nord canadien, Patagonie) et des gisements non-conventionnels (pétroles lourds de l’Orénoque, sables bitumineux de l’Alberta).
La production de gaz dans les Amériques, qui a augmenté de 33% en 40 ans, était dominée par les États-Unis à 62% en 2011. À cette date, le Canada, le Venezuela et le Mexique fournissaient à eux seuls le quart de la production hémisphérique, alors que le reste de l’Amérique latine (Argentine, Trinité-et-Tobago, Colombie, Brésil, Pérou et Bolivie, principalement) produisait le manque à gagner. Le paysage de la production de gaz naturel a été modifié au cours des dernières années grâce à de nouvelles techniques d’extraction implantées au tournant du millénaire. Ces changements induisirent une hausse particulièrement rapide de la production états-unienne de gaz naturel issue de puits non-conventionnels dits de « gaz de schiste », faisant passer les États-Unis d’importateurs nets à exportateurs nets de ce type d’hydrocarbures en l’espace de 10 ans. Cette ascension devrait se poursuivre : la plupart des analystes estiment que les États-Unis seront, dès 2015, les premiers exportateurs de gaz naturel au monde. Les nouvelles possibilités offertes par l’extraction des gaz de schiste promettent également de gonfler la production et l’exportation de gaz naturel de nombre d’États des Amériques, notamment celle du Canada, du Mexique et de l’Argentine. Au sein du continent, le gaz naturel sert surtout à alimenter les centrales électriques.
Malgré les problèmes environnementaux qui y sont associés, le charbon continue quant à lui de jouer un rôle majeur aux États-Unis pour la production d’électricité. De fait, cet État consommait 90% du charbon dans les Amériques en 2011. Les États-Unis, le Canada, la Colombie et le Venezuela demeurent de grands exportateurs de cette source d’énergie bon marché, qui trouve de larges débouchés au sein des marchés d’Amérique centrale et du Sud dont la consommation est celle qui augmente le plus rapidement au monde.
Outre les hydrocarbures, les Amériques sont également une région où l’hydro-électricité joue un rôle majeur. En 2008, l’hémisphère abritait 38% du potentiel hydro-électrique mondial, dont 22% en Amérique latine. La production hydro-électrique du Canada (1er rang mondial), du Brésil (3e rang mondial), des États-Unis (4e rang mondial) et du Venezuela est déjà bien valorisée, alors que de nombreux projets d’aménagement sont en cours en Amérique centrale, dans les Andes et sur les bassins de l’Orénoque et de l’Amazone.
L’énergie nucléaire est quant à elle une réalité non-négligeable aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Canada. Ailleurs en Amérique, elle demeure une source peu exploitée malgré la présence de gisements d’uranium. De fait, au sein des Amériques, seuls les États-Unis, le Canada, le Brésil, le Mexique et l’Argentine possèdent des réacteurs nucléaires produisant de l’électricité. L’énergie nucléaire comptait ainsi pour moins de 1% de l’énergie consommée en Amérique latine en 2011. Depuis 2006, le Brésil et l’Argentine ont cependant remis à neuf leurs installations et construit plusieurs nouvelles centrales afin d’augmenter leur production d’électricité issue du nucléaire, alors que le Mexique songe actuellement à faire de même. L’option nucléaire est pour sa part sérieusement envisagée, à moyen ou long terme, en Bolivie, au Chili, en Équateur et au Venezuela.
Dans le secteur des énergies nouvelles et alternatives, ce sont surtout les biocarburants qui retiennent l’attention. Le Brésil, pionnier de la production d’éthanol depuis 30 ans, occupe à cet effet une place centrale en Amérique latine. Les États-Unis demeurent néanmoins les premiers producteurs de biocarburants ainsi que d’énergie géothermique, éolienne, solaire, marémotrice et houlomotrice du continent. Malgré tout, le total de l’énergie consommée par les États de l’hémisphère provenant de telles sources renouvelables demeure négligeable.
Enfin, la biomasse, en particulier le bois de chauffage, demeure largement utilisée en Amérique latine et dans les Caraïbes, où environ 100 millions d’individus à faible revenu l’utilisent quotidiennement pour leurs besoins énergétiques de base. Pour sa part, la production industrielle d’électricité à base de biomasse et de déchets est dominée par les États-Unis et le Brésil au sein de l’hémisphère.
Une intégration énergétique inégale
La dynamique énergétique dans les Amériques, héritée du premier choc pétrolier (1973), a connu des changements profonds depuis les années 2000. En Amérique du Nord, jusqu’à tout récemment, les États-Unis, énormes consommateurs déficitaires d’énergie, comptaient sur le pétrole de leurs partenaires canadien et mexicain de l’ALÉNA pour satisfaire leurs besoins. Depuis le tournant du millénaire toutefois, l’exploitation de réserves non-conventionnelles de pétrole et de gaz naturel aux États-Unis bouleverse cette relation, puisque le pays devrait très vite devenir exportateur net d’énergie. Il n’en demeure pas moins que le Canada reste un partenaire énergétique privilégié pour les États-Unis, en raison à la fois des vastes réserves qui s’y trouvent et de la dégradation de l’efficacité du secteur pétrolier mexicain. Entre le Canada et les États-Unis, la coopération énergétique est ainsi étendue et présente de nombreuses complémentarités, tant au niveau des hydrocarbures que de l’électricité. La situation est tout autre en Amérique centrale, dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. En Amérique centrale et dans les Caraïbes, la question de la sécurité énergétique revêt une importance cruciale, alors que la région souffre d’un déficit énergétique chronique et d’une dépendance aux hydrocarbures fournis par Trinité-et-Tobago et le Venezuela. Cependant, comme certains exemples mentionnés plus bas dans ce paragraphe le montreront bien, l’intégration énergétique en Amérique latine (notamment en Amérique du Sud) s’est souvent soldée par des échecs, en raison du réflexe chauviniste et protectionniste de plusieurs gouvernements vis-à-vis de leurs ressources énergétiques. Pourtant, plusieurs initiatives d’intégration ont été mises en place par le passé. Dès 1973, la hausse des prix des hydrocarbures résultant du premier choc pétrolier avait alors incité 27 États d’Amérique latine et des Caraïbes à mettre sur pied l’Organisation latino-américaine d’énergie (OLADE). Il s’agissait alors de l’un des premiers organismes intergouvernementaux régionaux visant à instaurer une coopération énergétique sur le continent. À partir des années 1970, l’Amérique latine vit également émerger plusieurs projets d’interconnexions électriques dans différentes régions, alors que diverses initiatives de construction de gazoducs régionaux se concrétisèrent aussi au cours des années 1990. Depuis les années 2000, plusieurs acteurs-clé de la région ont ainsi mis différents projets d’intégration en branle. Le Mexique et l’Amérique centrale font de fait partie du Projet Mésoamérique (Plan Puebla-Panama) qui vise, depuis 2001, à développer l’interconnexion énergétique au sein de la région et à promouvoir notamment les biocarburants. L’initiative d'intégration de l'infrastructure régionale sud-américaine (IIRSA), au sein de laquelle le Brésil est un joueur d’envergure, cherche à atteindre les mêmes buts en Amérique du Sud depuis 2000. Au sein du Marché commun du Sud (MERCOSUR), l’intégration énergétique, notamment électrique, est aussi mieux réussie qu’ailleurs en Amérique du Sud. Parallèlement, les ressources pétrolières du Venezuela l’ont incité, depuis l’arrivée au pouvoir du président Chavez, à développer son propre réseau d’intégration énergétique. La mise sur pied de Petro-Caribe en 2005, un organisme de vente de pétrole à prix préférentiel aux États riverains des Caraïbes, s’inscrit dans cette optique, tout comme les projets Petro-Andina et Petro-Sur, censés avoir les mêmes fonctions auprès, respectivement, des États andins et du continent sud-américain. Les projets d’intégration régionale concurrents du Brésil – pivot énergétique régional du fait de son autosuffisance énergétique et de l’efficacité son industrie pétrolière – et du Venezuela ont amené divers conflits. La nationalisation, en 2006, des raffineries brésiliennes présentes sur le territoire national de la Bolivie est l’un des conflits les plus emblématiques à ce titre. Les différends entre le Paraguay et le Brésil quant à la cogestion de leur barrage commun d’Itaipu, ou encore la suspension de la livraison de gaz naturel entre le Chili et l’Argentine, en sont d’autres exemples. Ce qui précède montre bien qu’à ce jour, il n’existe pas de réel projet commun d’intégration énergétique au sein de l’Amérique latine, mais plutôt différentes initiatives sous-régionales fonctionnant en vase clos. Toutefois, l’idéal d’une intégration énergétique régionale est toujours présent à l’esprit des gouvernements latino-américains. En témoigne notamment la signature, en 2007, de la Déclaration de Margarita visant à construire l’intégration énergétique du Sud dans le cadre du premier Sommet énergétique sud-américain de l’Union des Nations sud-américaines (UNASUR), qui fut un appel à la mise en place de politiques de coopération communes en vue de réaliser l’intégration énergétique au sein de l’Amérique du Sud. Par ailleurs, la mise sur pied du Partenariat énergétique et climatique des Amériques (ECPA) suite au 5e Sommet des Amériques de 2009, vise également à réaliser une meilleure coopération interaméricaine par le biais de projets et initiatives énergétiques communs en vue de tendre vers une utilisation plus durable, renouvelable et efficace des ressources énergétiques de l’hémisphère.